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Pierre philosophale
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23 janvier 2008

La fragrance des mots

     Jean-Yves Mironval  avait appris le métier de la parfumerie sur les hauteurs de Grasse.  Il avait créé une petite maison honnête qui expédiait maintenant sa production aux quatre coins de France. Mais, depuis qu’il avait lu « Le parfum », de Patrick Suskind, depuis qu’il s’était passionné pour la quête de Jean-Baptiste Grenouille, maître parfumeur du dix-septième siècle et meurtrier en série avant la lettre, les fleurs de Grasse ne l’intéressaient plus guère. Non, ce que Jean-Yves Mironval voulait créer, à la suite de Grenouille qui avait élaboré le parfum de l’Amour, c’était la fragrance de la Liberté. S’il réussissait, il ne s’interdisait pas de penser à celle du bonheur.

     Tout d’abord, il lut beaucoup, énormément, des tas de traités sur la liberté, écrits par des philosophes pour la plupart… Mais cela ne le mena à rien. Que faire entrer dans la composition pour que, lorsqu’on débouche le flacon, nous parviennent des effluves de liberté, cette griserie de la sensation unique que l’on éprouve à certaines occasions ? Il pensait à de grands espaces, à d’immenses champs de neige vierge, aux odeurs de l’océan ou encore à des forêts immenses de palétuviers ou de mélèzes, avec un peu de vanille pour la note de tête, un peu de santal pour la note de coeur. Il procéda à de multiples distillations, réalisa quantité d’enfleurages, à chaud ou à froid…Mais dès qu’un soir de fièvre il était parvenu à une composition, lorsqu’il y revenait après quelques heures de sommeil, il était irrémédiablement déçu. Plus il cherchait, plus il s’enfermait dans ses contradictions. Jasmin, fleur d’oranger, frangipanier, il mélangeait, ajoutait, mariait mais ses recherches ne le menaient nulle part. A force de traquer la fragrance de la liberté, sa vie était devenue une prison. Un soir, il comprit l’absurdité de sa quête et décida de tout vendre, la parfumerie, l’atelier et sa maison. On dit qu’il partit sur les chemins, loin de Grasse, loin de France, loin de l’Europe, dans des contrées où la liberté est encore autre chose qu’un mot…

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